Témoignages
& Critiques

Les Galas Nijinsky à Londres, novembre 1949

Au moment où est écrit cet article - Novembre 2009 - c'est bientôt le 60ème. anniversaire de cet événement unique dans l'Histoire de la Danse. Et il est certain qu'il ne s'est jamais reproduit.

 
 

Vaslav Nijinsky

 

Programme-souvenir des Galas Nijinsky
à Londres en novembre 1949

Vaslav Nijinsky, qui était considéré comme le plus grand danseur classique du XXème siècle, a vécu les trente dernières années de sa vie dans une établissement psychiatrique et il est aisé d'imaginer dans quelles conditions précaires il a pu vivre, lui, sa femme Romola et sa fille Kyra.

La Comtesse de Noailles écrivit à son sujet: "Tous ceux qui ont vu Nijinsky danser, restent à vie appauvris par son absence, quand ils pensent au vol abyssal vers les basses régions de la mélancolie où il vit maintenant; Nijinsky, dont le corps vivait dans l'espace, sans répit et sans soutien, qui, comme quelqu'un l'a dit avec fantaisie, "semblait parfois peint sur le plafond". Ceux qui ne lui ont vu, ne connaîtront jamais le pouvoir de la jeunesse, enivrée par la force du rythme, stupéfiante dans son énergie musculaire, nous apparaissant comme la sauterelle à l'enfant, quand elle joue fièrement sur les ressorts d'acier de ses pattes."

Compte tenu de la situation pénible dans laquelle se trouvait alors Nijinsky, Madame Marie Rambert, que Diaghilew avait engagé pour travailler avec sa compagnie sur les rythmes complexes de Stravinsky du "Sacré du printemps", organisa trois Galas à son profit au Empress Hall de Londres, au cours du mois de Novembre 1949.

Dame Marie Rambert
(photo: Gordon Anthony, 1938)

Pour cet événement, les danseurs les plus marquants de France furent invités à se produire: Tamara Toumanova, Yvette Chauviré, Marjorie Tallchief, Léonide Massine, Jean Babilée, George Skibine et Wladimir Skouratoff.

 
 

Tamara Toumanova

 

Yvette Chauviré


 
 

Léonide Massine (photo: Gordon Anthony)

 
Skibine et Babileé aux Galas Nijinsky

Comme il est mentionné dans les Notes sur la Correspondance entre Walter Gore et Marie Rambert, (Jane Pritchard, Dance Research, 1998), les Galas Nijinsky comprenaient les programmes suivants:
"L'après-midi d'un faune" avec Jean Babilée et Margaret Hill;
"Les Sylphides" avec Yvette Chauviré, Nathalie Krassovska, Paula Hinton et Wladimir Skouratoff;

 
 

Marie Rambert et Jean Babilée

 

Skibine et Skouratoff
attendant dans les coulisses aux Galas Nijinsky
(photo: Alec Murray)


 
 

Chauviré répétant
"La mort dy cygne"
(photo: Keystone)

 

Babilée et Margaret Hill
dans "L'après-midi d'un faune"
(photo: Alec Murray)

"Giselle" (act II) avec Tamara Toumanova, Marjorie Tallchief et Wladimir Skouratoff;
"Capriccio Spagnol" (version courte) avec Léonide Massine, Tamara Toumanova, Marjorie Tallchief et George Skibine.

Massine, costumé pour Cappricio Spagnol
et Babilée pour L'oiseau Bleu (photo: Howard Byrne)

Dans les trois premiers ballets, le corps de ballet était celui du Ballet Rambert.
On a dansé aussi le pas de deux de Don Quichotte, avec Toumanova et Skouratoff, La mort du cygne, avec Chauviré et Skouratoff et L'Oiseau bleu avec Jean Babilée et Nathalie Krassovska.

On peut facilement imaginer le succès que ces Galas ont dû avoir les 21, 22 et 23 Novembre 1949 à l'Empress Hall de Londres. Néanmoins, comme cela est également mentionné dans l'article cité plus haut: "(…) ils se révélèrent être un fiasco financier. Apparemment, la Nijinsky Trust Fund ne réçut que 130 livres pour les trois représentations."

Dans un article publié dans Dance and Dancers en février 1950, Tatlock Miller fait un compte-rendu de cet événement chorégraphique unique; nous en avons extrait les paragraphes suivants:

"(…) nous vîmes sur une scène à quatre côtés quelques uns des grands danseurs du monde, se produisant en l'honneur de Nijinsky. Ce furent trois nuits étincelantes, avec des premières danseuses et des premier danseurs russes, françaises et americains, tous venus à Londres pour l'occassion."

"Ici, en un glorieux ensemble et dansant dans le même programme pour la première fois, étaient Tamara Toumanova, Yvette Chauviré, Leonide Massine, George Skibine, Marjorie Tallchief, Wladimir Skouratoff, Jean Babilée et le Ballet Rambert, avec sa propre artiste invitée Nathalie Krassovska. Avec Boris Kochno à la direction artistique et avec l'esprit du grand Vaslav Fomich Nijinsky imprégnant les pensées de chacun de souvenirs ou des légendes, on avait le sentiment d'être en train de faire l'histoire (…) Ceux qui avaient vu Nijinsky danser et se souvenaient de son Pavillon d'Armide, son Jeux et Sacre de Printemps, parlaient avec révérence de son extraordinaire élévation et de sa manière mystérieuse de rester en suspension dans l'air ; pendant que les malheureux infortunés qui ne l'avaient pas vu de leur propres yeux, avaient l'impression qu'on renforçait sa légende".

"Avant la première de ces représentations, j'assistais toute la journée à une répétition tendue, une étoile brillant après l'autre. L'air lui-même était électrique, attendant avec fougue ce qui
aurait pu voler dans six directions différentes."

"On cajolait le chef d'orchestre, on le suppliait dans une douzaine de langues de changer ses tempi, pendant qu'un micro insistant n'arrêtait pas de demander M.Boris Kochno. Et tout le temps, on sentait que, quelque part sur cette vaste scène partiellement embrumée, Nijinsky était assis et observait, surtout quand Rambert et Massine faisaient répéter Babilée pour sa première représentation du Faune. A un moment, Madame Rambert se retrouva elle-même couchée à plat ventre sur le rocher où se cache le Faune, si absorbée, si désireuse que le jeune Babilée puisse comprendre, connaître et reproduire le premier essai chorégraphique de Nijinsky, qu'il puisse le faire revivre, même si c'était pas possible de ré-créer l'émoi sensationnel qu'il avait produit le soir du 17 février 1913, quand il fut donné la première fois à Londres."

"(…) Wladimir Skouratoff fut un Poète d'une grande dignité dans Les Sylphides. J'ai assisté à l'une des représentations depuis le derrière de scène où habituellement est suspendu le rideau de fond et j'ai vu la belle aisance, apparemment sans effort, avec laquelle les schémas de Fokine se développent, se fondent et se résolvent par eux-mêmes."

 
 

Chauviré et Skouratoff aux Galas Nijinsky
(photo Alec Murray)

 

Nijinsky à Paris en 1909

Vaslav Nijinsky mourut à Londres le 11 avril 1950.

Traduction: Elizabeth van Moere